Au bonheur du Noir et Blanc
La 25e édition de la foire mondiale de photographie « Paris Photo » a réunit du 10 au 13 novembre près de 200 galeries et éditeurs venus d’une trentaine de pays. Et notamment les Américains absents les années précédentes à cause de l’épidémie du Covid. Ce fut l’occasion pour les collectionneurs, les amateurs et même les simples curieux de découvrir le meilleur de la création photographique.
UNE ANNEE SOUS LE SIGNE DU PHOTOBOOK
La photographie cette année fut indissociablement la fête du livre. Ce format, qui offre au photographe une grande liberté d’expression et qui constitue un prolongement de sa créativité. Cette année, Paris Photo avait invité 34 éditeurs à montrer leurs créations, en plus de la péniche Polycopies qui en plus de ses 3 étages habituels avait monté une tente contiguë au bateau sur les quais de seine. Il y avait foule pour visiter des éditeurs de moults pays. Au Grand Palais éphémère il y a eu 350 signatures d’artistes en 4 jours de programmation intense. Et des découvertes superbes (cf. article ci-après de notre sélection) : David Salcedo, Alex LLovet, Juanan Requeña, Israel Ariño et Clara Gasul chez les Espagnols, Pierre Faure, Jean Mounicq, Thomas Boivin, Céline Croze… pour les Français entre-autres, Et venus de multiples pays : Hans Bol, Nanouk Prins, Andrea Olga Mantovani, Ola Rindal, Wijnanda Deroo, Talia Chetrit, Youqine Lefèvre, Eamonn Doyle, Wolfgang Tillmans, Paola Jiménez Quispe, Arturo Russo, etc.
UN GRAND SUCCES POPULAIRE
Pour sa deuxième édition au Grand Palais éphémère, Paris Photo a réaffirmé son statut de foire photo leader à l’international. Un intérêt grandissant pour les spectateurs venus plus nombreux que l’année dernière (61 000 entrées, soit une hausse de 5%) avec une journée de vendredi particulièrement chargée. Jusqu’à la saturation ! De très grands noms de la photographie était là : Martin Parr, Harry Gruyaert, Michael Kenna, Joan Fontcuberta, Rinko Kawauchi,…et la jeune génération très active et venu de très nombreux pays : le photographe indien Bharat Sikka, les français Camille Gharbi et Matthieu Gafsou, l’iranien Arash Hanaei co-vainqueur du Arts Maker BMW… etc.
DE NOUVELLES THEMATIQUES
1613 artistes étaient représentés, dont 32% de femmes, en majorité d’Europe (70%) mais aussi d’Afrique du Sud, d’Iran, d’Israël, du Liban, du Maroc, de Chine, du Japon (quoi qu’assez peu en fait), de Corée du Sud, d’Inde, d’Amériques du Nord et du Sud. Confinement, isolement, guerres – comme la galeriste parisienne Suzanne Tarasiève qui consacre l’intégralité de son stand au photographe ukrainien Boris Mikhaïlov-, génocides, mutations écologiques, paysages (y compris sous-marin) ; notamment le travail exceptionnel de font partie des thèmes d’actualité abordés par les photographes représentés au salon. Les thèmes de la sexualité, du genre, de la narration de son histoire personnelle s’ils n’ont pas disparus sont beaucoup moins présents. L’intime devient surréaliste, la maison familiale ou celle des souvenirs personnels devient le théâtre d’une reconstruction narrative avec des objets – sorte de bodegones- comme autant de symboles – et l’usage du floue artistique créé une frontière entre rêve et réalité, entre hier et aujourd’hui, entre le vrai et le fabuleux.
DES JEUNES ULTRA-CREATIFS
Le secteur « Curiosa de Paris Photo » met en lumière depuis 2015 des pratiques qui renouvellent les codes traditionnels du médium photographique. On a retenu trois artistes se dégagent : Jean-Vincent Simonet (1991, France) qui pratique l’assemblage, le photomontage, le collage, les techniques digitales fusionnant différents modes de traitement de l’image. Dans une forme de de surcharge, d’exubérance et d’entropie narrative ; l’américaine Leigh Merrill (1978, Nouveau-Mexique) qui construit de nouvelles réalités tout autant dans la nature avec la forêt, que dans des zones urbaines avec des friches industrielles, au moyen d’une création digitale volontairement infidèle ; restent Elliot & Erick Jiménez (jumeaux en 1989), artistes Issus de la première génération d’Américains d’origine cubaine, installés en Floride. Les jumeaux œuvrent en duo et signent un travail photographique sur leur fascination commune pour l’histoire de l’art et la mythologie. Se mélangent symbologie, sémantique narrative et lumières.
MUTATION PHOTOGRAPHIQUES
Les images également mutent, comme le néon rampant « Dami », 2022 de Smith chez la Galerie Christophe Gaillard : image, espiègle, qui jouent à cache-cache avec la lumière de néon. Il en va de même des pelures de photographies à l’intérieur d’ampoules de Lisa Sartorio chez Binome, ou des scènes imagées sur la vaisselle de Jordi Vernis Lopez chez ADN Galerie.
LE NOIR ET BLANC A L’HONNEUR
La photographie argentique ainsi que les noirs et blancs retravaillés avec du grain ou du flou artistique restent « La » grande tendance de cette foire et au cœur des expositions des galeristes et des collectionneurs. Il y a une tendresse pour le Noir et blanc et sa mélancolie, quelque chose que la couleur n’aurait pas, sauf peut-être le polaroid ! Serait-ce plutôt un mystère ? Comme si le noir et blanc apportait à l’image ce je-ne-sais-quoi de précieux qui la rend photographie, objet de collection et de contemplation.
La scène contemporaine, jusqu’au plus jeune, est remarquable en termes de traitement du noir et blanc ; et dans ce Paris Photo on s’arrêtera sur : Alexandre Dufaye représenté par la galerie Catherine Issert à Saint-Paul de Vence avec sa technique qui rappelle le sfumato en peinture ; ou Lukas Hoffmann qui habite à Berlin – déjà vu au Monoprix à Arles – et qui présente des photos de passants prises à la volée, avec une chambre photographique grand format. Un geste, une attitude, un vêtement, une chevelure… Un essai photographique très précieux sur le détail infime du quotidien ; ou bien Nicolas Floc’h qui rend compte avec réalisme de l’état des fonds sous-marins dans un stand, chez Maubert, scénographié de manière spectaculaire… ; ou encore Sara Imloul, avec sa technique mixte sur calotype (négatif papier), et ses photos introspectives ; sans oublier la photographe et “activiste visuelle” Zanele Muholi qui dépeint exceptionnellement depuis 20 ans dans de puissants portraits en noir blanc les identités LGBTQ+ d’une Afrique du Sud post-apartheid…
LES 75 ANS DE L’AGENCE MAGNUM
A l’occasion de cette édition l’agence Magnum a célébré les 75 ans de sa fondation. À cette occasion, une grande rétrospectivea été organisée sous l’égide de Martin Parr.
« SAGE COMME UNE IMAGE »
En synthèse, la foire de Paris a joué la carte des grands classiques (Bertha E. Jaques, Brassaï, Man Ray, Kertesz, Lartigue, Robert Frank, Cartier-Bresson, Bob Gruen, Carrie Mae Weems, Diane Arbus, Josef Koudelka, Graciela Iturbide, Nan Goldin, Todd Hido, etc) plus peut-être que donner la place aux révélations. Le noir et blanc domine grandement et dans toutes ses acceptions. Rossy De Palma était là pour donner le coté fou, mais sans la jeunesse de « Femmes au bord de la crise de nerfs ». En fait il semble que l’objectif était de séduire les États-Unis à tout prix et qu’ils puissent reprendre leur business auprès des collectionneurs.
Alors, si le salon était un bon cru, avec force photographes créatifs et moults idées, il était, pour reprendre le titre du papier quotidien Le Figaro : « Sage comme une image ». Peut-être lui manquait-il un esprit rock’n roll, ce qui est curieux puisque les Américains étaient de retours… ? Un peu comme si le Mike Jaeger de la dernière tournée des stones menait le bal de ce salon !
Jean-Matthieu Gosselin
Ullic Narducci
