LES LECONS DE TARADELLAS

En allant à la manifestation le samedi 21 octobre au soir je suis passé devant la vitrine de Llibreria de la Diputació sur la Diagonale. Par réflexe, plus que par réelle connaissance du sujet, je photographie la vitrine présentant l’exposition sur Tarradellas, le président de la Généralitat en exil sous Franco, le négociateur de la Généralitat avec Alfredo Suarez en 1977. Hasard du calendrier ? Un peu, mais aussi le sens de la communication de la part des catalans, qui savent utiliser tous les medias. Ce n’est pas pour rien si cette année le siège de la Diputació de Barcelona accueille une exposition intitulée : « Tarradellas, la légitimité d’une double présidence ». Il s’agit de commémorer le 40e anniversaire du retour du président Josep Tarradellas en Catalogne et la restauration de la Generalitat. C’est une exposition organisée par Joan Esculies dans le cadre d’une série d’événements commémorant à Barcelone, à Madrid et à Cervelló sa ville natale, cette histoire du pays. La Diputació de Barcelona a organisé des actes pour se rappeler qu’il y a quarante ans, lorsque Tarradellas est revenu en Catalogne, il a non seulement assumé la présidence de la Generalitat, mais aussi celle de la Diputación de la ville. Figure tutélaire catalane, Joan Taradellas i Joan est un vrai militant catalaniste engagé très jeune en politique. Il a participé à la fondation du parti Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Elu député ERC pour la première fois en an 1931, avant d’entrer au gouvernement de la Généralité de Catalogne comme conseiller de gouvernement, il n’a pas participé à la proclamation de l’indépendance le 6 octobre 1934, mais il a été emprisonné avec les promoteurs de la République. Pendant la guerre il est conseiller des Finances, puis président du conseil exécutif de la Généralitat… Il sera exilé pendant 36 ans en Suisse et en France. Il est élu président du gouvernement de la Généralitat en exil en 1954, après que Pau Casals a refusé la fonction. Adolfo Suárez, le chef du gouvernement espagnol (1976 – 1981) décide, pour sortir de la crise politique, de faire appel à un médiateur hautement symbolique, Josep Tarradellas, le président en exil de la Généralitat. Tarradellas s’impose alors – et ce n’était pas gagné – comme l’unique négociateur légitime ; il obtient un décret rétablissant provisoirement le gouvernement de Catalogne, forme un gouvernement d’alliance au sein de la Généralitat de Catalogne qui neutralise les revendications catalanistes autour de la participation commune à l’élaboration du projet de statut d’autonomie. L’objectif alors est de consolider le centre-droit et la démocrate-chrétienne contre la gauche catalane. Les débats sont multiples, d’abord celui autour du concept de «nationalité » qui fait l’objet d’une forte discussion entre les différents protagonistes politique, puis celui sur l’étendue des compétences de la Généralitat – il sera réglé par voie de négociation entre Tarradellas et le Premier ministre Adolfo Suárez -, enfin le projet définitif qui est élaboré autour d’un accord final obtenu entre l’Union du Centre démocratique, le Parti socialiste catalan et Convergence et Union. Le texte est adopté en Catalogne par voie référendaire le 25 octobre 1979. L’opération monté par Suárez et Tarradellas a fonctionné, elle aboutira à l’élection de Jordi Pujol (Convergencia et Union). Ce dernier dirigera la région de 1980 à 2003 ! Lors de ses obsèques en 1988 on lira ces phrases de Tarradellas : « Citoyens de Catalogne : oui, je suis ici, à vos côtés, pour une Catalogne prospère, démocratique et libre. Oui, je suis ici, pour travailler à la prospérité de la catalogne qui doit être un exemple pour tous les peuples d’Espagne. ». Une partie de l’après-midi j’ai lu des textes sur cette histoire particulière, complexe et sur cet homme élégant et intelligent. Cela m’a donné un éclairage différent pour comprendre la politique actuelle. Je pensais ce midi écrire sur un autre thème mais cette photo de vitrine m’interpellait et cette histoire aussi. On ne la connait pas réellement en France. Après ces rappels pour les uns et ces découvertes (pour moi par exemple) pour les autres, on comprendra peut-être un peu mieux la réaction de Carles. Puigdemont dans sa brève allocution du vendredi 20 octobre à 21 heures. Répondant à la décision annoncée le matin même par le gouvernement espagnol d’activer l’article 155, il a répondu en catalan, en espagnol et…en anglais afin d’essayer d’internationaliser le conflit. Pour lui le gouvernement espagnol « se place hors de l’État de droit », il a été jusqu’à qualifier la décision du conseil des ministres de « pire attaque contre les institutions catalanes » depuis la dictature franquiste. Puigdement a revendiqué la légitimité de la Generalitat comme bien supérieure à la constitution et revendiqué également l’héritage de Josep Taradellas, oubliant de rappeler que le retour de Taradellas a permis une opération de recomposition politique fondamentale en Catalogne au détriment de la gauche…ses alliés. Ses mots étaient forts, sans néanmoins aller jusqu’à déclarer unilatéralement l’indépendance. Il se dit – mais on ne prête qu’aux riches – qu’il pourrait convoquer le parlement vendredi pour soir proclament solennellement l’indépendance, soit convoquer des élections constituantes, soit les deux… Quoi qu’il en soit de plus en plus dans la ville les gens se taisent complètement, ou alors lorsqu’ils parient c’est pour faire part d’un malaise profond et pour dire pour une majorité d’entre eux (la majorité pro Generalitat) que pour eux : « Le peuple catalan est aujourd’hui totalement déconnecté des institutions espagnoles ». Les autres restent complètement silencieux. On est loin de Suárez et de Tarradellas !