Les Rencontres de la photographie, Arles

Les Rencontres de la photographie, Arles

Les Rencontres d’Arles se sont ouvertes en juillet, avec peu de grandes stars internationales, sous réserve de quelques grands noms comme : Paul Graham curateur de l’exposition la plus fine et la plus intéressante à mon avis : « Et pourtant, elle tourne ! » ; de Joan Fontcuberta qu’on rencontre deux fois avec deux expositions très originales sur les variations visuelles et sur les frontières du réel et du virtuel (Joan Fontcuberta et Pilar Rosado avec « Déjà-vu » à Croisère et « Magnifique agonie » au couvent Saint-Césaire) ; Babette Mangolte qui capte le mouvement dans l’espace (mais aurait mérité une muséographie plus dynamique et originale) ; Bettina Grossman, figure du « Chelsea Hotel de New-York », artiste graphique et plastique, dont le travail sur l’image et la géométrie et – évidemment la répétition – a posé les repères pour l’avant-garde ; Léa Habourdin et ses images signifiantes et originales de forêts : les forêts sauvages qu’elle capte via deux méthodes : l’anthotype, une image créée à partir de matériel photosensible de plantes et la sérigraphie ; Julien Lombardi et son exceptionnelle « La terre où est né le soleil », une excursion onirique dans la vallée de Wirikuta au centre du Mexique, où les indiens Huichols viennent chaque année en pèlerinage pour honorer le soleil et le feu… Et évidemment Lee Miller (mais que l’on aurait pu voir ainsi au Musée du Jeu de Paume (à Paris) ou à Fotocolectania (à Barcelone), en fait rien de surprenant ici ; ou Mitch Epstein qui a effectué entre 1979-1989 pas moins de huit voyages en Inde et réalisé des dizaines de milliers de photographies. Il y a également tourné trois films avec sa femme indienne, la réalisatrice Mira Nair. Pour le rencontrer il faut sortir de la ville et aller à à l’abbaye de Montmajour. Sans voiture, en groupe, certes avec des bus, c’est compliqué. Tout comme est encore plus frustrant le concept du « Grand Arles Express » qui propose des expositions dans toute la région, avec notamment Mathieu Pernot au Mucem, Thomas Mailaender au Centre Photographique Marseille, et Bernard Plossu au Musée Granet d’Aix-en-Provence…. Mais ceci est un autre sujet.

La photographie est cette année à Arles « le médium du témoignage, celui qui fait passer du négatif au positif », le medium qui raconte le vrai et le vraisemblable : comme avec Lukas Hoffmann chez qui tout habite dans le cadrage, l’orientation de l’appareil photo, la lumière et les contrastes, la profondeur de champ, la richesse des détails… ; ou avec Noémie Goudal qui aborde le paysage et sa perception : ses photographies en trompe-l’œil perturbent l’appréhension de l’image et posent la question des frontières. Elle côtoie l’idée du temps long dans « Phoenix », avec des films performatifs diffusés sur des écrans géants dans l’église des Trinitaires ; ou bien encore avec Ezio d’Agostino artiste questionnant la nature documentaire de la photographie et son statut, notamment dans l’imaginaire collectif. Sans oublier (mon coup de coeur) Julien Gester et son « Cette fin du monde nous aura quand même donné de beaux couchers de soleil” (très beau titre et très originale mise en cimaise avec un scotch de couleurs différentes à chaque image) ; il propose un regard sensible et intimiste sur le monde, dans un aller et venir entre l’expérimentation et la narration pure, le cheminement libre et la saynète faisant passer du négatif au positif avec un travail subtil de la couleur et du contraste.

L’exposition « Une avant-garde féministe » à l’atelier de Mécanique Générale (Parc des Ateliers, Fondation Luma) propose une relecture méticuleuse – déjà vue l’année dernière à Barcelone au CCCB avec une muséographie et un parcours différents – mais sans doute aussi trop didactique, des mouvements féministes des années 70, à travers la collection Verbund de Vienne. Cinq thématiques montrent la diversité des féminismes de l’époque, dans lesquels semblent aujourd’hui puiser tous les mouvements contemporains. On entrevoie alors l’impertinence féroce et l’inventivité de femmes artistes des années 70 celles qui ont fait de leur corps une arme politique.

Avec l’exposition « Chants du ciel – La photographie, le nuage et le cloud » (au Monoprix) on prend une claque. Et une vraie ! Mais il faut lire tous les cartels pour ne pas être perdu. Les questions de l’environnement, du réseau, de la data, de l’Intelligence artificielle se mélangent pour produire un dialogue fécond et artistique autour des technologies d’aujourd’hui et de demain. Palpitant et très profond ! Le nuage est une excuse, un objet, une métaphore, un thème.

A la galerie Photosynthèses on découvre la démarche de Barbara Iweins, « Katalog », qui a classé et photographié l’ensemble des objets de son appartement au bout d’un 11e déménagement… C’est rayonnant d’intelligence avec des textes très littéraires et très drôles !

Et puis laissons pour la fin le clou du festival à mon goût : la grande exposition collective « Et pourtant, elle tourne » mise en cimaise par Paul Graham avec un soin, un gout et une intelligence subtiles. Elle réunit neuf noms expérimentés de la photographie (tous autour de cinquante ans), parmi lesquels : Kristine Potter, Curran Hatleberg, Gregory Halpern ou Vanessa Winship… L’expo présente des photographies de la vie telle qu’elle est dans les États-Unis du XXIe. Les narrations sont ancrées dans une immobilité paresseuse, poétique, contemplative, triste et hasardeuse.

« Le fait qu’il n’y ait pas d’histoire est l’histoire. » explique Paul Graham.

Le programme d’Arles 2022 est donc pointu, réfléchi et sérieux, avec beaucoup d’artistes européens ; il ouvre sur des horizons lointains, sur des combats sociaux, sur les luttes des femmes et leurs revendications ; il se concentre sur l’environnement, le climat, la nature, et même une nature fragile et spéculative, rêvée… Il n’y a pas d’expositions locomotives, mais beaucoup de réflexions et du sérieux. Pas toujours ludiques et en aucun cas comiques.

Mais évidemment c’est un très bon moment pour les amateurs de la photographie avec une très belle place faite, également, aux photo-books.

Jmg